Les 50 nuances de ta mère
Cette semaine, je me suis projetée. Non pas que vos petites bobines me donnent envie d’être à demain mais une maman ne peut s’empêcher, parfois, de vous voir plus grandes. De vous imaginer dans un métier, dans une vie que vous vous serez fabriquée. Cette semaine les rêves d’avenir, le coin de la bibliothèque et les années passées ont fait le travail.
Je me suis demandé comment j’allais, un jour, vous expliquer le tourbillon des années. Les aléas, les surprises, le hasard, la dèche et l’envie. Est-ce qu’il me sera humainement possible de mettre des mots sur les nuances, les angoisses et les éphémères ? Une mère est-elle un livre ouvert ou un journal intime fermé à double tour ?
Je pourrais peut-être commencer en vous expliquant qu’à force de regarder là-haut, à force de chercher un sens à tout ça, je n’ai pas construit de cathédrale qui pointe le ciel. Toutes mes interrogations verticales ont été vaines. Et si je regarde autour de moi, je suis comme beaucoup, meilleure dans les constructions horizontales. Meilleure dans le réel. Le ménage, les commissions, le mal de dos et la déco.
Je devrais vous dire que les choix ça paraît pas bien méchant, mais qu’au fond, c’est sacrément dur. Sacrément usant. Et que quand on a mis toute la certitude que l’on avait dans ses poches là, sur une table, à la merci d’un choix, et bien on doute. Encore et toujours.
Il me faudrait vous parler des chemins que l’on a croisés. Toutes ces personnes. Toutes ces vies mêlées, belles, tragiques. J’aimerais réussir à vous faire comprendre que ces directions doivent sillonner vos mains et les battements de votre cœur pour l’avenir, mais que le rétroviseur peut aussi vous jouer de mauvais tours.
Je serais obligée de vous dire qu’il faut s’arrêter de temps en temps. Même au milieu d’une soirée. Il faut vous regarder. Regarder le visage des autres et tout imprimer. Tout garder précieusement pour les jours gris. Mettre des petits riens dans des boîtes à trésors. Les rides au coin des yeux, quelques fous rires, des objets d’enfance, des photos mal cadrées et des notes de musique.
Aimez aussi le temps qui passe et qui transforme. Les saisons. Regardez le vent en face, caressez l’herbe, humez les orages et chauffez vos cheveux aux après-midis de juillet. Enlevez vos chaussures devant les ruisseaux et écoutez le chant des oiseaux comme si c’était à chaque fois une nouveauté.
Je vous mettrais en garde sur plein de choses. Sur le fait qu’il ne faut pas trop parler. Que le vrai pouvoir c’est de réfléchir avant. Qu’il faut garder des mots pour soi au risque de paraître timides ou mystérieuses pour un temps.
Je vous encouragerais à essayer. Même si ce n’est plus l’âge, pas encore l’heure ou pas de bon ton. Essayez. Lancez-vous vers ce qui vous touche et vous attire. Tentez vos chances car vous en aurez plusieurs, mais ne les laissez jamais sur le bord de la route.
Enfin, il me faudrait inévitablement vous prévenir que vous perdrez des gens. Certains de vue, d’autres pour toujours. Et que c’est avant de les perdre qu’il faudra leur lancer des « je t’aime ». Qu’il faudra leur prendre la main, les taquiner, les respirer aussi. Avant qu’ils vous quittent. Je vous rassurerais en vous disant que c’est dans l’ordre des choses et qu’on ne serait pas vivant si on ne faisait pas l’expérience de la mort.
Pour tout le reste, soyez des nuances. Moquez-vous de la solitude. Faites comme vous pouvez. Dansez au milieu de la cuisine. Lisez n’importe quoi de n’importe qui, car c’est en lisant qu’on se fait des opinions et des avis avant que les autres se les fassent pour nous. Pour tout le reste, soyez des milliers de nuances de vous-mêmes. Soyez heureuses. Souvent.
Bien à vous.